'Tears
of The Valedictorian' est le quatrième album officiel
du groupe Frog Eyes originaire de Victoria en Colombie Britannique.
Dès l’instant où Tears of The Valedictorian
prend son envol il apparaît clairement que cet album
est complètement différent des 3 premiers (sortis
sur le label américain Absolutely Kosher). Il y a de
l’espace sur ce disque, un développement vraiment
dynamique, spécialement sur les deux morceaux qui constituent
sa clef de voûte, les deux jumeaux épiques :
Caravan Breakers et Bushels (Du Frog Eyes au mieux de sa forme
pour ce dernier). Tears of The Valedictorian arrive après
The Folded Palm, une œuvre corrosive et fragmentée
dont les éclats mettent un point final à une
trilogie sans nom (The Bloody Hand, The Golden River et The
Folded Palm). Tears of The Valedictorian arrive en contre-point
de cette agressivité, si chaud en son cœur qu’on
le dirait immunisé contre la décomposition.
Là, le label parle de catéchisme alors que le
groupe se contente de longévité et la remercie.
En apparence, les paroles de Carey Mercer brossent un portrait
plutôt austère du monde. Dans chaque chanson
on trouve une profession qui merde : Un ambassadeur qui saute
sur une bombe, un lieutenant impassible qui cherche les restes
de son père, un général qui a perdu sa
fille au petit matin, un colporteur qui se réveille
au beau milieu de la nuit morne pour compter ses marchandises.
Et, catastrophe parmi les catastrophes : les avions repoussent
les bateaux loin des îles, le blé fait tellement
défaut qu’il faut survivre, May a été
exilée et les Patriarches sont expédiés
sur de gros morceaux de glaces dans la Mer de Béring.
Cependant nous ne pouvons pas entendre cette voix comme celle
de la mythique Cassandre, annonçant la ruine et la
désolation, de peur que nous ne retournions à
ces heures sombres. Mercer a toujours été au
fait de toute cette merde : les mauvaises récoltes,
les villages qui s’effondrent, tout ce qui s’effondre
en fait. Ecoutez sa partie dans « Eagle Energy »
à la fois susurrée et gueulée juste après
« The tempest within us / is the tempest without us
» (La tempête à l’intérieur
de nous est la tempête sans nous) : « We won’t
be discared ! » (Nous ne serons pas mis au rebut !).
C’est un cri de ralliement, un « TOUS ENSEMBLE
», comme nous pouvons espérer en entendre, mais
c’est suffisant pour nous aider dans notre tâche.
Il faut le comprendre comme un aveu de notre névrose
collective plutôt que comme une condamnation moralisatrice
d’un monde en détresse. On a toujours été
foutu. Nous provoquerons toujours la tempête. Ainsi,
avec Frog Eyes on trouve la combinaison rare d’un parolier/leader
dont les influen- ces tiennent autant de la littérature
classique Russe que de la littérature Irlandaise (Cinnamon
Girl, Virginia Plain ou le hululement de Thurston) le tout
mêlé à cette musique incroyablement intuitive
et connectée. C’est avant tout dû au groupe
dont Mercer s’est entouré. Sa femme, Mélanie
Campbell, a développé un jeu de batterie qui
évince - ou du moins défie - de façon
primaire la voix. Le jeu de basse de Michael Rack est vif
et précis et il est certain qu’il a potassé
le grand Peter Hook. Les claviers de Spencer Krug (membre
de Wolf Parade) sont une merveille païenne, se faisant
tantôt vole babillant d’oiseaux baroques, tantôt
explosion et gémissement d’un tremblement de
terre, on pense beaucoup à leur accolites Arcade Fire
en écoutant Frog Eyes. McCloud Zicmuse flatte la guitare
de Mercer en faisant virevolter des bips mélodiques
et des gribouillis par-dessus les vibrations du cyclone. Bien
sûr il y a la voix, la voix de Mercer, presque canalisée,
effrayante et peut-être un peu effrayée, effrontément
habitée, austère, cent mille ans, cent mille
orages de grêle, cent mille vieilles photos, un cent
millième de seconde avant l’Epiphanie. Ça
tremble, il tremble, vous tremblez. Quand vous entendez tout
ce tourbillon autour de vous, vous devez vous poser la question
de savoir si un autre groupe sur la planète aurait
pu faire un tel disque. C’est fort et c’est léger,
laid et charmant à la fois. Cru, dépouillé
et malgré tout indirect, abstrait et quasiment impénétrable,
comme des labyrinthes. A l’évidence, Frog Eyes
est complète- ment unique, une aberration bénie
qui refuse de disparaître et Tears of The Valedictorian
pourrait bien être le joyau sur leur couronne. |